
Lettres ouvertes Black artists in Switzerland et par les étudiants de l’ECAL: Des mesures antiracistes demandées dans des lieux culturels en Suisse
Black Artists and Cultural Workers in Switzerland: Lettre ouverte. https://blackartistsinswitzerland.noblogs.org/
La Matinale / 1 min. / le 3 juillet 2020: https://www.rts.ch/info/culture/11445917-des-mesures-antiracistes-demandees-dans-des-lieux-culturels-en-suisse.html
L’affaire George Floyd a des répercussions dans le monde culturel suisse. Il y a deux semaines, un collectif d’artistes noirs de Suisse a envoyé une lettre à une cinquantaine de lieux culturels pour réclamer des mesures antiracistes. Une démarche similaire est lancée à l’ECAL à Lausanne. Des étudiants de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) ont envoyé une lettre ouverte à leur direction et leurs enseignants pour demander des mesures contre les discriminations raciales. Ce collectif, auquel la RTS a pu parler, tient à rester anonyme. Il a publié sa lettre ouverte sur le réseau Instagram et demande à l’ECAL différentes mesures structurelles, comme la transparence sur les sponsors – certains génèrent-ils des fonds provenant d’exploitation coloniale? Mais aussi des mesures incitatives, comme l’invitation d’artistes noirs ou la création de formations obligatoires contre le racisme.
Plus facile d’être homme et blanc
Chercheuse à l’Ecole d’art de Zurich, Sophie Vögele a participé à une étude qui montre qu’en Suisse, les admissions dans les écoles d’art, ainsi que tout le cursus, sont discriminants. Elle soutient la démarche des étudiants de l’ECAL. “Plein de statistiques et de recherches montrent qu’il est beaucoup plus facile d’être un artiste masculin et un artiste blanc dans le monde”, a-t-elle souligné vendredi dans La Matinale. Les écoles font partie de ce champ-là, poursuit-elle. “Dans la lettre, on parle de ‘démanteler les structures du pouvoir blanc’. C’est cela qu’il faut adresser. Comprendre ce qui règne sur notre pensée, ou comment les structures sont imprégnées par une certaine manière de penser, qui est justement très blanche”.
Lettre ouverte des étudiants de l’ECAL [Voir aussi sous le compte Instagram des initiant*es.]“Cher Alexis Georgacopoulos, chers enseignant.e.s, chères personnes au pouvoir, Cette lettre ouverte vise à répondre à notre premier appel en faveur de mesures immédiates que nous pensons que l’ECAL, ainsi que d’autres établissements d’enseignement, ont la responsabilité de mettre en œuvre. La réponse que nous avons reçue du directeur de l’ECAL soutient que notre établissement ne compte prendre aucune mesure particulière pour ouvrir la voie à un changement progressif et durable au sein de l’institution. Étant donné que la réponse de l’ECAL ne répond à aucune des préoccupations que nous avons décrites en détail dans notre première lettre, nous vous demandons une fois de plus de prendre en considération les mesures à long terme proposées contre les discriminations raciales, et en faveur de plus de transparence et d’inclusion. En tant qu’établissement d’enseignement supérieur qui n’a pas de politique, de programme ou de système mis en place afin de lutter contre la racialisation, la symbolisation* et la discrimination des étudiant.e.s, il est extrêmement contestable pour l’ECAL d’affirmer être un établissement précurseur de l’industrie de l’art et du design. Dès lors, revendiquer une notion d’unité et d’ouverture est insuffisant, spécialement en considérant que cette responsabilité nous est remise à nous, étudiant.e.s blanc.h.e s et étudiant.e.s de couleur. En grande majorité, nous sommes déçu.e.s par le manque d’action et de soutien visant à démanteler les structures de pouvoir blanc au sein de l’ECAL, et c’est pourquoi nous vous invitons à mettre en pratique la liste des demandes structurelles** que nous avons décrite dans notre première lettre. Bien que nous prenions en compte la considération que notre lettre a suscitée, nous estimons toujours que la position neutre de l’ECAL est totalement inacceptable dans cette situation. En ce sens, nous ne pensons pas que garder le silence soit une posture légitime, ni en tant qu’entité publique, ni dans un espace interne et structurel. Nous comprenons qu’il s’agit d’un moment critique de questionnement pour les personnes non-touchées par le racisme, et nous invitons la direction de l’ECAL à se joindre au corps étudiant, principalement blanc, afin d’ensemble réfléchir à des questions que nous n’avons pas examinées auparavant. Nous voulons également souligner l’importance d’avoir un dialogue ouvert entre la direction de l’ECAL et ses élèves, afin que nous puissions travailler ensemble vers une école qui reflète nos valeurs. Dans sa réponse, le directeur de l’ECAL a appuyé ses propos sur une citation de Nelson Mandela qui dit que “l’éducation est l’arme la plus puissante que vous pouvez utiliser pour changer le monde”. Nous sommes en accord avec ces mots, et c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles beaucoup d’entre nous ont décidé de poursuivre des études supérieures. Cependant, l’ECAL, qui se prévaut d’un enseignement critique, encourage pourtant le corps étudiant à développer cette même éducation selon leur libre arbitre et intérêts personnels. Un établissement qui se positionne comme progressif ne peut pas laisser la responsabilité d’une éducation critique au bon-vouloir de ses étudiant.e.s. Notre système éducatif ne devrait pas se sentir en droit de s’approprier les travaux critiques des élèves à son profit, et ainsi se décharger de la culpabilité de son échec à résoudre les problèmes critiques de race, de classe et de sexe depuis l’intérieur. Nous insisterons à ce sujet jusqu’à ce que des mesures concrètes soient prises. Nous attendons de l’ECAL qu’elle se joigne au mouvement mondial contre le racisme, et agisse contre la complicité institutionnelle d’un système bénéficiant aux personnes blanches. Prenons par exemple le manque de transparence concernant les sponsors et les partisans de l’ECAL: quelles politiques existantes sont mises en place pour garantir que les fonds ne proviennent pas de sources qui profitent directement ou indirectement de l’exploitation des populations noires? Nous attendons un changement radical dans la transparence, et le réexamen des pouvoirs en place. Ce manque d’implication provoque également certains conflits en termes d’attentes académiques: comment l’ECAL peut-elle s’attendre à ce que le travail des élèves soit critique, lorsque l’école n’est pas disposée à dispenser une telle éducation? Comment peut-elle revendiquer le mérite d’un travail étudiant critique, tout en refusant de mettre en place des structures internes activement antiracistes? De quelle manière l’ECAL préconise-t-elle et donne-t-elle de la visibilité aux projets qui remettent en question les structures de pouvoir existantes définies par la race, la classe et le genre? Pour conclure, nous tenons à souligner qu’il est crucial pour l’ECAL (ainsi que d’autres établissements d’enseignement) d’utiliser son pouvoir et son impact dans le monde de l’art en s’exprimant en faveur des préoccupations susmentionnées. Nous attendons de notre université qu’elle offre à ses étudiant.e.s la perspective d’un avenir conforme à nos valeurs : celles qui accordent à tous.tes la possibilité d’évoluer en toute sécurité et dignité, et de prospérer en égalité dans leurs carrières. Le corps étudiant de l’ECAL** Nous vous invitons à mettre promptement en vigueur la liste suivante non exhaustive de demandes structurelles : Transparence sur les sponsors – Qui sont les sponsors / donateurs de l’ECAL, et génèrent-ils de quelque manière que ce soit des fonds provenant d’exploitation coloniale ? – Quelle éthique l’ECAL applique-t-elle lorsqu’il s’agit du choix des sponsors desquels accepter des financements ? – Y’a-t-il des fonds mobilisés pour des causes inclusives, que ce soit sous forme de dons à des organisations ou en interne sous forme de bourses ? Transparence sur toute éventuelle différence salariale – Y a-t-il des différences salariales en fonction de la couleur de peau ou du genre ? Si oui, pouvez-vous y remédier ? Transparence concernant l’emploi de personnel noir, tout en leur fournissant un environnement de travail sûr – Les cachets pour le travail d’artistes noir.e.s sont-ils les mêmes que pour le travail d’artistes blanc.he.s ? – Quelles mesures l’ECAL prend-elle pour offrir un environnement de travail sûr aux personnes noires et de couleur ? – Y’a-t-il un système en place qui assure un moyen digne de signaler les cas de racialisation, de discrimination et de symbolisation** ? – L’ECAL prend-elle des mesures spécifiques afin de fournir un environnement de travail sécurisé aux artistes racisé.e.s qui sont invité.e.s à donner des workshops /conférences ? Si oui, de quelle manière ? – Quelles sont les mesures prises par l’ECAL pour offrir un environnement de travail sûr aux personnes noires et aux personnes de couleur ? – Les enseignant.e.s sont-ielles invité.e.s et encouragé.e.s à s’informer activement sur un ensemble d’artistes, de curateur.trice.s et de galeries plus inclusives ? Invitez activement les enseignant.e.s à se renseigner sur les artistes, les curateur.tric.x.e.s et les galeries noires – Les artistes noir.x.e.s sont-ils pris en compte au même degré sans avoir à forcément devoir travailler sur des questions raciales ? – Dans quelles mesures les opinions coloniales sont-elles sérieusement remises en question en ce qui concerne l’art et la culture qui sont discutés au sein de l’institution ? – Comment l’ECAL garantit-elle une formation critique à ses employé.e.s ? Invitez des artistes racisé.e.s à organiser des conférences et des ateliers, tout en veillant à leur fournir un environnement de travail sûr Workshops obligatoires contre le racisme – Supposer et éloger l’union ne suffit pas. Que faites-vous pour démanteler la suprématie blanche dans votre établissement ? – Votre personnel est-il informé des préjugés suprémacistes blancs qui sont ancrés dans la société, la culture et la politique suisse et occidentale ?” – Accueillez-vous les plaintes des étudiant.e.s et les rapports sur les mauvais comportements des autres étudiants, des membres du personnel et des enseignants, et faites-vous en sorte que les étudiants qui les signalent se sentent en sécurité ? – Pouvez-vous régulièrement effectuer des sondages périodiques (démonstratifs des notions d’égalité et de diversité) qui recueillent les opinions et la satisfaction des étudiant.e.s concernant le corps des enseignants, des intervenant.e.s et le contenu de cours ? L’éducation extracurriculaire – Puisque l’ECAL encourage les étudiant.e.s à poursuivre une éducation critique en dehors du programme d’études, quelles mesures ont été prises par l’établissement pour fournir l’infrastructure, les outils et les ressources nécessaires? Ce point est particulièrement important puisque dans le dernier mail (10/06/20), l’ECAL y encouragerait les étudiant.e.s à développer un point de vue critique en dehors du cadre éducatif de l’école. * Symbolisation Le terme symbolisation a été utilisé en l’absence d’un terme français équivalent au terme anglais tokenisation, c’est-à-dire l’acte de faire un geste vers l’inclusion des membres de groupes minoritaires, destiné à créer une apparence d’inclusivité pour s’écarter des allégations de discrimination.
